Ce qui s’est dit… le 10/12/2015
Un cadeau à 7 € ? Un recueil de poèmes dédié aux établissements victimes des attentas
Quand l’injustice et l’horreur attrapent au vol un vendredi soir de novembre, à la terrasse de cafés ou dans la moiteur d’une salle de concert, de bons vivants à la jeunesse désormais éternelle, le chagrin est infini.
Intarissable. Une amie chère, des enfants, les enfants de nos amis, les amis de nos amis, les cousins de nos voisins, les nièces de notre…
La liste affiche 130 morts, et plus de 350 blessés… Comment vivre comme avant ? Plus jamais. Pourtant pour le pire, comme le meilleur…Se regarder, se sourire, oser enfin, se toucher. Et puis lire quelques vers magiques …
Aujourd’hui 10 décembre sort en librairie un recueil de poésie, réalisé en un temps record, par un chapelet de bénévoles passionnés. Il rend hommage et soutient les lieux festifs de Paris, touchés par les attentats. Les recettes seront entièrement reversées à la Fondation de France, qui assure la récolte des fonds et leur redistribution.
Un poème pour faire du bien
Devenus des mausolées où chacun vient se recueillir, comment les sortir de la torpeur dans laquelle ils ont plongé le 13 novembre dernier ? Ce petit éditeur indépendant, situé dans le même triangle de la mort, a eu l’idée, si généreuse, de rassembler, à ses frais et dans un joli livre, les poèmes des plus grands auteurs du XIXème siècle, qui nous rappellent le bon vivre, les joyeux cafés parisiens, mais aussi l’Insurrection Parisienne, qui a laissé Paris, au moment de la Commune en 1871, exsangue, mais avec la force de rester debout…
Paris, plus forte que tout, a su écouter ses poètes, ses philosophes, ses penseurs, ses révoltés au nom de la résistance.
La petite gorgée de bière
Chapeau à cette maison d’édition indépendante qui a su réagir, se mobiliser, rassembler des amoureux des mots, et choisir quelques plus beaux morceaux de la poésie française, les rassembler, les mettre en situation, les imprimer. En témoignent ces quelques vers de Rimbaud, extraits de « Roman », publié dans Poésies en 1870.
Ce soir-là…, – vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade…
– On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.
Et comme l’éditeur, dont la modestie est de ne pas donner son nom, le dit si humblement : « Petit éditeur de l’Est parisien, nous avons choisi de publier ce recueil de poésie pour aider les salles de concert, les bistrots et restaurants de nos quartiers, directement touchés par les attaques. Ces endroits dans lesquels, jusqu’à ce jour-là, on buvait du café et des bières, ces endroits où l’on mangeait, où l’on découvrait des artistes, ces endroits qui font l’âme de Paris. (…) Les oeuvres choisies appartiennent à tous, elles sont au coeur de notre culture. Et cette culture est notre meilleure alliée.»
Sous l’égide de la Fondation de France
Les recettes de ce petit ouvrage seront entièrement reversées aux établissements touchés ce 13 novembre 2015 sous l’égide de la Fondation de France. Il est très délicat, en ce contexte noir, d’évoquer les cadeaux de Noël, mais comme cette fête réunit désormais toutes les religions, tous les agnostiques et athées, faire ce petit cadeau d’un valeur de 7 € est une ouverture vers un monde nouveau, cette fois rempli de poésie et de paix, de quoi nourrir plusieurs générations. Vous le trouvez sur le site de la Fnac et d’Amazon, dans les librairies près de chez vous, en le réservant sur placedeslibraires.fr.
Voici quelques extraits
- Pour tous les établissements: « Paris incendié » de Victor Hugo, L’Année terrible, 1872.
Sans Paris, l’avenir naîtra reptile et nu.
Paris donne un manteau de lumière aux idées.
Les erreurs, s’il les a seulement regardées,
Tremblent subitement et s’écroulent, ayant
En elles le rayon de cet œil foudroyant.
Comme au-dessous du temple on retrouve la crypte,
Et comme sous la Grèce on retrouve l’Egypte,
Et sous l’Egypte l’Inde, et sous l’Inde la nuit,
Sous Paris, par les temps et les races construit,
On retrouve, en creusant, toute la vieille histoire.
L’homme a gagné Paris ainsi qu’une victoire.
Le lui prendre à présent, c’est lui rendre son bât,
C’est frustrer son labeur, c’est voler son combat.
À quoi bon avoir tant lutté si tout s’effondre !
- Pour la Belle Équipe: « La débauche » (extraits) de Marc-Antoine Girard de Saint-Amant, Les œuvres du sieur de Saint-Amant, 1642
Par ce tabac, ton seul encens,
Par tous les plaisirs innocents,
Par ce jambon couvert d’épice,
Par ce long pendant de saucisse, Par la maje é de ce broc,
Par masse, tope, cric et croc,
Par cette olive que je mange,
Par ce gai passeport d’orange,
Par ce vieux fromage pourri,
Bref par Gillot, ton favori, Reçois-nous dans l’heureuse troupe, Des francs chevaliers de la coupe, Et, pour te montrer tout divin,
Ne la laisse jamais sans vin.
- Pour le Carillon : « L’Heure exquise » de Gérard de NervaL, Poésies diverses, 1855
Aimez, buvez, le reflet est plein de choses vaines
Le vin, ce sang nouveau, sur la lèvre versé,
Rajeunit l’autre sang qui vieillit dans vos veines
Et donne l’oubli du passé.
Que l’heure de l’amour d’une autre soit suivie,
Savourez le regard qui vient de la beauté ;
Être seul, c’est la mort ! Être deux, c’est la vie !
L’amour c’est l’immortalité !
Gérard de NervaL, Poésies diverses, 1855
- Pour Le Petit Cambodge : « Là-bas » d’Émile Verhaeren, Les bords de La route, 1895
Calmes voluptueux, avec de grands nuages,
Et des îles de nacre et des plages d’argent
Et des perles et des coraux et le bougeant
Saphir des étoiles, à travers les feuillages,
Et de roses odeurs et des roses de lait,
Pour s’en aller vers les couchants et se défaire
De soi, comme une n lente de jour, un jour,
En un voyage ardent et mol comme l’amour
Et légendaire ainsi qu’un départ de galère !
- Pour La Bonne Bière : « Enivrez-vous » de Charles Baudelaire, Les Petits Poèmes en Prose, 1869.
Et si quelquefois, sur les marches d’un palais, sur
l’herbe verte d’un fossé, vous vous réveillez, l’ivresse
déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la
vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge ; à tout ce qui
fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout
ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure
il est . Et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge,
vous répondront, il est l’heure de s’enivrer ; pour ne
pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous,
enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise.
- Pour Casa Nostra : « Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage » de Joachim du Bellay, Les regrets, 1858
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?
- Pour le Bataclan : « Premiers vers » de Germain Nouveau, 1872-1878
Une musique amoureuse
Sous les doigts d’un guitare
S’est éveillée, un peu triste,
Avec la brise peureuse ;
Et sous la feuillée ombreuse
Où le jour mourant résiste,
Tourne, se lasse, et persiste
Une valse langoureuse. »