Ce qui s’est dit… le 05/12/2013

Pénis Atlas :
voir et montrer

Quand j'ai reçu le Pénis Atlas au bureau, ça n'a pas loupé : tous les garçons sont venus me dire que c'était dégoûtant et que je devais être bien malheureuse qu'on m'oblige à me farcir cette littérature et surtout les photos qui l'accompagnent. Je m'attendais à quelques vannes, mais pas à à ce déferlement... Quel est le problème des hommes avec les pénis ? Par Maïa Mazaurette

Qui veut voir des pénis ? La question n’est pas si évidente. Quand j’ai reçu le Pénis Atlas (éditions Le Contrepoint) au bureau, ça n’a pas loupé : tous les garçons sont venus me dire que c’était dégoûtant et que je devais être bien malheureuse qu’on m’oblige à me farcir cette littérature et surtout les photos qui l’accompagnent (merci mais ça va). Je m’attendais à quelques vannes, mais pas à à ce déferlement… Quel est le problème des hommes avec les pénis ?

Et plus précisément : quel est leur problème avec le pénis des autres ? A la question : « trouves-tu ton propre pénis dégoûtant ? », aucun collègue ne répond par l’affirmative. Ils sont contents de leur pénis mais ne veulent pas en voir un autre, même pas sur papier.

(Je ne parle pas des collègues de GQ, qui sont délicats comme des porcelaines vénitiennes, mais des collègues de bureau partagé au Danemark.)

Il y a l’affirmation forcenée de son hétérosexualité : besoin de la dire au boulot, de la gueuler à la cantonade, de la répéter à moi en tant que femme – comme s’il fallait me rassurer. Cette affirmation passe par un rejet esthétique « objectif » du pénis, qui serait « objectivement » moche. Sur quels critères ? Le livre présente des photos de cent pénis différents : est-ce qu’ils peuvent être TOUS moches ? Allons donc.

J’insiste encore un peu sur cette scène de bureau étrange mais la haine du pénis est tellement banale que je voudrais m’étendre sur la question. Est-ce que mes collègues se sont rendus compte de la violence symbolique de leurs paroles ? Si les pénis sont dégueulasses et que je les aime, mon désir n’est-il pas illégitime ? Si les pénis sont dégueulasses et que je les touche, et que je les mets dans mon corps, cela ne fait-il pas automatiquement de moi une personne dégueulasse ? Est-ce que ça ne dérange personne de me dire que je suis bien conne d’être hétéro ? Sans parler des gays ?

Il doit y avoir moyen de donner son opinion (« je trouve les pénis moches ») sans rappeler à la moitié de l’humanité que ses préférences sont risibles / illégitimes (« les pénis SONT moches »).

Et même dans le cas d’une opinion, ce serait pas mal de se remettre en question : on n’a pas affaire ici à un choix esthétique. C’est culturellement que le pénis est dégoûtant. C’est appris. C’est répété. C’est un cliché. Personne ne peut m’expliquer POURQUOI les pénis sont moches – c’est de la soumission aux codes dominants.

Bref, on retrouve ici cette hétérosexualité masculine très spéciale, très codifiée : construite sur le désir des femmes, certes, mais aussi sur le rejet du corps des hommes. Au passage, quand on se sent « naturellement » dans le camp du bon goût, parce que les pénis sont « objectivement » moches, ça s’appelle un privilège.

En somme, quand mes collègues ont cette réaction viscérale (mais pas du tout naturelle), j’assiste pour la millième fois au concours de bite de qui sera le plus hétéro. Pour résumer : le concours de bite de ceux qui détestent les bites.

Franchement, des fois, les garçons sont hilarants.

Bref. Le Pénis Atlas est un ouvrage d’origine norvégienne (mais adapté en version française) qui présente beaucoup plus que 600 photos de pénis (cent hommes photographiés trois fois au repos et trois fois en érection) : on y trouve de l’histoire, de la religion, de la science, des témoignages, et une grosse foire aux questions qui répond à quasiment tout ce qui pourrait vous passer par la tête. Sur 230 pages, seules un tiers sont consacrées à de la photographie systématique. On ne verra aucun visage. Juste les sexes. Tous très identifiables et uniques. On sait qu’il a été difficile de faire bander les modèles. Qu’ils ont souvent refusé d’être photographiés. Que justement c’est encore tabou. Le projet est ambitieux, bourré de courbes, d’informations diverses et bien sûr d’images – une accumulation qui permet de prendre du recul, de se faire une opinion propre, de sortir du « dégoûtant ».

C’est justement parce que leur réaction a été si épidermique que mes collègues auraient dû ouvrir le bouquin, tout seuls, dans leur coin, sans se faire de cinéma. Regarder, observer, comparer, bref développer une pensée critique et esthétique réelle. Si on déteste les pénis, très bien. Mais qu’on me dise enfin pourquoi.

 

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