Ce qui s’est dit… le 29/04/2014
Minutieux, soigné,
moderne et pédagogique
Twitter: moteur et vitrine du monde moderne?
De blagues aux déclarations officielles en passant par des propos haineux, les tweets bouleversent la société de communication bien au-delà de nos écrans.
Depuis son essor dans les années 90 et sa «démocratisation» dans les années 2000, Internet a apporté dans sa «révolution» une gamme de nouveaux outils de communication pour la majorité gratuits et inédits, devenue pour la plus jeune génération un habitus social: adresses mail, MSN messager (chat internet lancé en 1999), Skype (logiciel gratuit de visioconférence depuis 2003), Facebook (réseau social qui fête ses dix ans) et depuis cinq ans: Twitter.
Symbolisé par un petit oiseau bleu, ses chants, ses piaillements de bons ou mauvais augures s’amplifient sur la toile, jusqu’à faire vibrer au quotidien les nouveaux médias, comme les traditionnels. La nouvelle drogue du communiquant professionnel a un dosage de 140 signes: le tweet. Et certains en usent, d’autres en abusent…
C’est cette pratique inédite qu’ont décrit Olivier Tesquet et Christelle Destombes dans le premier ouvrage français se consacrant à cette plate-forme numérique. Ce monde infini de réseaux, où les interactions de messages stériles comme d’informations majeures circulent sur les mêmes lignes, dans une cacophonie anarchique.
Comparé avec pertinence au début de l’ouvrage au concept de «rhizome» chez Deleuze (système égalitaire et horizontal d’interconnexion), cette représentation du «marché cognitif» est retranscrit dans cet essai pratique qui décrypte chaque message à la loupe. 47 tweets sont décortiqués, non sans humour, avec un ton léger qui n’exclut pas le sérieux de l’analyse et les replace dans la perspective des effets de la communication. Ce travail minutieux est soigné, résolument moderne comme pour coller à son sujet, foisonnant de couleur inspiré du site (bleu électrique, gris…) et de symboles empruntés à la pop-culture.
Chacun des tweets étudié est d’abord présenté sur une double page noire. À gauche le contenu et son auteur; à droite une contextualisation, la date de publication, un bref repère biographique de l’auteur, et enfin «l’identité Twitter» de ce dernier avec des données chiffrés avec le nombre de ses «folowers»: date de création du compte…
Ces éléments ont fait l’objet d’un dernier relevé à la fin du mois de décembre 2013, nous précise-t-on dans une introduction de deux pages extrêmement courte, mais qui situe précisément l’objet. La critique principale apportée à cet ouvrage exceptionnel (dans le sens qu’il ne ressemble en rien à un livre traditionnel, tant par son sujet que sa présentation) tient en ceci: il n’y a pas de perspectives annonçant des tendances futures, et la réponse reste à construire.
C’est ici que cet ouvrage/ovni doit être salué pour la qualité de son unique défaut: Tweets: L’histoire s’écrit-elle en 140 caractères? pose la légitimité de la question à travers ses analyses empruntées à divers types de tweets qui, selon des variations toutes différentes, influent sur le monde moderne.
C’est une démarche à la fois pédagogique et prudente, répugnant un prophétisme parfois trop prégnant dans les discours portant sur les nouvelles technologies et leurs usages (annonçant des «révolutions» utopiques, sans toujours apporter des éléments factuels, et en oubliant que la possibilité technologique ne fait pas le changement social).
Une vidéo humoristique de Justin Timberlake et Jimmy Fallon à l’émission The Tonight Show met en scène une discussion qui reprend les codes spécifiques de la langue sur Twitter, notamment le «hashtag». Au-delà de la parodie, on peut s’interroger: Twitter bouleverse-t-il les rapports de communication?
Nouveaux langages
Si internet et la possibilité d’auto-publication laissent parfois passer des coquilles de grammaire et d’orthographe (l’œil serait-il plus rigoureux sur le papier?), c’est aussi un terrain fertile au développement d’un vocabulaire nouveau pour appréhender la spécificité du numérique. Souvent détournés de la langue anglaise, comme ce nouveau verbe du premier groupe «tweeter» dont une table de conjugaison est disponible à la fin de l’ouvrage, de nouveaux mots circulent, issus pour la plupart d’un argot typique de la génération Y: «troller» qui consiste à se moquer par un détournement numérique de quelque chose ou quelqu’un, le «mème» défini comme «ensemble des phénomènes récurrents dans la culture populaire d’internet» (Barack Obama, les chats, Chuck Norris…)[1] ; «Twitta »: utilisatrice de Twitter.
Le support, utilisé principalement pour dire avec des mots, ne fait pas l’économie du multimédia (et donc de l’image et du son): d’autres logiciels numérique viennent s’y greffer tel Instagram ou Vine.
Le «hashtag» ou «#» (mot-dièse en français de l’Académie) est par ailleurs un composant essentiel auquel est accolé une notion, un mot de référence, permettant d’octroyer un lien de parenté au message et permet d’accroitre sa visibilité. Depuis son apparition, il a modifié les codes de langage au quotidien sur le net pour détourner des commentaires de façon humoristique ou indiqué ce doit-il est question: «#CopéApoil» en est le plus significatif récemment à propos de la polémique sur la théorie du genre.
D’une autre manière, un basculement s’opère avec des personnalités comme Bernard Pivot, qui commente désormais sur Twitter l’actualité avec des hybrides textuels qui portent à faire sourire: «guéanter» en synonyme de «tartuffer»; «moscovicir» pour «taxer», et s’interrogeant parfois poétiquement?
L’importance du nombre des adolescents ayant «migrés» de Facebook (réseau social préféré par 23% sur 8600 ados interrogés) à Twitter (26%)[2] amène également un usage «décomplexé» de la langue, qui peut parfois écorcher les codes de grammaires et d’orthographes, mais aussi les bonnes mœurs.
Boite de Pandore
Si Twitter propose dans son format concis de nouveaux codes, il affecte le fond du message: au détriment du respect fondamental de la «liberté d’expression», les valves de l’expression libre sont ouvertes et drainent des messages haineux, et ceci est loin d’être l’exclusivité des jeunes twittos. Le format bref, lapidaire, amorce des phrases denses et percutantes, dénuées parfois de finesse et surtout de réflexions.
La violence se retrouve au-delà des phrases chocs des «twittos», pour la plupart journalistes, hommes et femmes politiques, jamais à l’abri d’un dérapage, comme Nadine Morano pour Tesquet (p42, 43 et 45), rappelant les propos du ministre Guillame Garot face à son utilisation compulsive de Twitter: «le degré zéro de la politique». En allégorie taquine, le compte de Rafaël Los Batardos récence en retweetant ou en inventant le pire des réflexions racistes et homophobes qui circulent.
La violence se mêle à l’horreur par inadvertance, comme lors du mauvais timing d’«American Rifleman», important lobby des armes à feu souhaitant une bonne fin de semaine aux tireurs… au lendemain de la tuerie d’Aurora dans le Colorado.
La communication sur un support d’interconnexion tel que Twitter n’implique peut-être pas de sanctions légales (a priori dans les conditions d’utilisations qui prévaut une liberté absolue, comme une indépendance totale), mais apportent en réaction des condamnations sociales massives. Sans cadre régulateur de médias traditionnels, et encore jeune presque en expérimentation, les polémiques relayées ou alimentées directement donnent lieu quotidiennement à des commentaires vifs, s’apostrophant par «@» et achevant par des «#» bien sentis.
L’effet papillon
D’une certaine manière, le commentaire produit lui-même l’actualité, inversant la relation de cause à effet traditionnel. Le cas qui illustre le mieux ce pouvoir de la communication est le piratage du compte deThe Associated Press à la date du 23 avril 2013 par l’Armée électronique syrienne. Alertant de deux explosions à la Maison Blanche et de blessures subit par le Président Obama, ce faux message a entrainé une chute de 130 points du Dow Jones, soit une perte virtuelle de 36 milliards de dollars[3], en plus d’un affolement planétaire. Sur Internet, Barack Obama meurt à peu près chaque semaine…
La rapidité de la circulation des messages provoque l’inflation de rumeurs, qui se répercutent non seulement sur les comportements (financiers, diplomatiques…), mais aussi sur la manière de faire du journalisme.
L’avantage majeur de Twitter est d’être au plus près de l’actualité en lien direct et interactif avec les protagonistes qui la font. C’est une mine infinie d’informations, qui peuvent s’avérer aussi précieuses que fausses (mensonge, piratage ou usage de faux comptes).
Les institutions en usent aujourd’hui comme moyen de communication privilégié pour être au plus près d’une communauté d’intérêt, comme le Vatican avec le compte du Pape François[4], ou en réaction à des événements à chaud, comme la police de Montréal durant les protestations étudiantes de 2012 pour commenter ses propres interventions, devançant les éventuelles critiques médiatiques en un semblant de transparence. L’armée israélienne déverse elle des menaces par ce biais, ce qui est inédit dans le domaine militaire, dans une guerre de pouvoir s’associant à une propagande par le véhicule du message à caractère public.
«Nous recommandons aux membres du Hamas, quel que soit leur grade, de ne pas se montrer sur le terrain dans les jours qui viennent». Loin d’apaiser les rapports, ce type de message ne fait qu’amplifier le conflit, en lui donnant un aspect virtuel trop détaché de la réalité des violences selon Laurent David Samama[5].
Internet a considérablement modifié nos manières d’appréhender le réel et surtout nos manières d’interagir. À titre interpersonnel, comme il a pu être le cas sur le réseau social Facebook (avec l’archivage de nos «ami(e)s»), on passe avec Twitter à une échelle plus vaste, interconnectant directement institutions, journaux télévisé, web, papiers ayant leurs propre compte, citoyens, adolescents, «communicants professionnels» (journalistes, politiciens, personnalités publiques…) de toutes les générations et de toutes les nationalités.
Outil hybride dont il est difficile d’estimer les degrés et les limites de son influence, seul 5% de la population française y est active, la majorité l’utilisant à partir de smartphones, dans le feu de l’émulation de l’idée en commentaire d’un événement.
Twitter est ainsi la plate-forme et la vitrine d’un monde vivant au rythme d’un crescendo d’échange infernal, et s’il n’est pas toujours sage de s’y référer pour traiter de l’actualité, l’actualité de nos société de communication n’a pas meilleur symbole et caricature. À suivre ?
Adrien Pollin
[1] Voir le lexique p 204 et 205.
* Olivier Tesquet est un ancien ** collaborateur de Slate.fr
** Avant le partenariat entre Slate et NonFiction.fr