Ce qui s’est dit… le 04/12/2014
La moustache
sur le divan
des Inrocks
Gonzague Dupleix : “La moustache fait l’homme”
L’auteur des “30 moustachu(e)s qui n’ont jamais rien fait de mal” nous parle de poils, des hipsters et du mec de chez Axa.
De Vercingétorix à Borat, en passant par le Grumpy Cat et Frida Kahlo,Les 30 moustachu(e)s qui n’ont jamais rien fait de mal, illustrés par Sidonie Mangin, se suivent et ne se ressemblent pas.
Au lendemain de la 11e édition de Movember, les éditions Contrepoint publient un recueil de portrait d’hommes et de femmes à moustache, sur le fil du rasoir entre informations inattendues et humour finement taillé.
Nous avons interviewé celui qui s’est vu confier la lourde tâche de mettre la moustache à poil, Gonzague Dupleix, Mr. Style de GQ magazine.
Dans le livre, on apprend aussi bien le parcours du fondateur de Goldman Sachs que l’histoire de Mario Bros, la moustache a-t-elle été un prétexte pour brosser un portrait de notre société ?
Gonzague Dupleix – Oui, la moustache est un prétexte pour pouvoir raconter des histoires qui la dépassent. Lui accorder de l’importance permet de zoomer dessus jusqu’à l’oublier, elle, et le visage sur lequel elle a poussé. On peut apprendre beaucoup de la vie des gens à travers un prisme spécifique. On pourrait tout à fait faire le même travail à travers la brosse à dent, ou la corde à sauter. Je suis sûr qu’il y aurait plein d’informations passionnantes à dénicher.
Devant une telle série de portraits de personnages qui ont marqué notre histoire et notre imaginaire, on en vient presque à se demander si c’est la moustache qui fait l’homme ou l’homme qui fait la moustache ?
C’est la moustache qui fait l’homme. Il devient le sujet de cet attribut, c’est elle qui pilote. Beaucoup plus que la barbe qui se contente de vieillir celui qui la porte. La moustache est plus périlleuse. Elle représente des figures historiques fortes en gueule et nécessite un travail pour se la réapproprier, tout en évitant l’écueil du moustachu beauf comme l’était Will Ferrel dans les années 90. Aujourd’hui, la moustache n’est pas forcément un truc d’hystérique en manque de virilité. C’est un peu l’inverse du mec qui se rase tous les matins pour aller bosser chez Axa. Elle confère un côté pitre, dandy. Elle a trait à une sorte de préciosité, de raffinement.
Elle est d’ailleurs devenue l’apanage des hipsters, est-ce qu’ils la dénaturent ?
Ce qui est intéressant dans le fait qu’ils s’y soient mis c’est que c’est la première fois qu’elle est accaparée par des “bourgeois”. Ce qu’ils mettent en avant avec leur look c’est un certain pouvoir d’achat, une connaissance des choses qui transparaît via ce patchwork stylistique. Mais nous avons un regard qui est un peu dur sur les hipsters. Nous sommes dans une espèce de démarche d’autodissection de notre génération pour essayer de la comprendre. Il faut laisser du temps aux hipsters. Comme tous ceux qui les ont précédés, ils essayent de reprendre le flambeau de la frime avec leur port de tête, leurs chaussures rutilantes et leur moustache. Ça ne veut pas dire que certains d’entre eux n’émergeront pas comme des hommes importants, à l’image de ceux cités dans le bouquin. Si je devais choisir deux moustachus actuels, je dirais Reda Kateb, qui est un excellent acteur, très prometteur, et Arthur, le chanteur du groupe Feu ! Chatterton. Il a vraiment une gueule. Ça change des mecs qui portent la moustache justement pour se donner un caractère qu’ils n’avaient pas.
Une moustache “raffinée” à ne pas confondre avec une moustache plus “rustique” ?
En terme de mode, de style, on a toujours pu voir l’importation à la ville de caractéristiques plus rurales pour faire le malin. Le prince de Galles s’était par exemple mis à porter ses vestes de chasse à la ville. On importe un détail qui détonne dans la vie de citadin pleine de contraintes comme une vitrine de revendication, un refus de se faire dicter son apparence. Tout ceux qui habitent des métropoles n’y sont pas nés, ils n’y sont pas toujours complètement à l’aise. La moustache permet alors de réaliser un gros fantasme de rébellion silencieuse. Le message est : “Je ne suis pas assez couillon pour perdre ma vie comme vous qui êtes rasés de près dans vos costumes et vos grattes ciels, je laisse pousser mon poil pour revendiquer mon retour prochain au calme.”
Dans le livre vous parlez de la moustache “plus grand symbole de virilité après le phallus” et de la “testostérone fantasmée de nos ancêtres“, c’est donc ça que les hommes cherchent avec la moustache, leur virilité ?
Peut-être que pour certains elle permet de redessiner la masculinité dans un monde qui se cherche équitable. Mais les hommes écoutent les femmes maintenant, ils ont mis de l’eau dans leur moustache. Elle est un fétiche des temps passés, sans être un rempart derrière lequel les hommes plus nuancés d’aujourd’hui essayent de se cacher. La voir comme ça reviendrait à dire que les hommes sont devenus rikiki et qu’ils portent la moustache pour prouver quelque chose en jouant au colonel moutarde.
Si c’était le cas, quel serait le pendant féminin de la moustache aujourd’hui ?
Pas le slip, les médecins l’ont prouvé. Si je devais choisir je dirais que ce sont sans doute les lunettes. Qu’elles soient grosses, à écailles, ou autre, elles donnent aux femmes un look d’hypokhâgneuses parfois un peu ingénues auquel elles jouent volontiers. Elles semblent affirmer : “Salut, je suis une fille qui ne va pas se laisser embobiner. Tu peux venir chez moi mais tu verras que j’ai du Simone de Beauvoir sur mon étagère.” Ça me rappelle un peu Sophie Marceau dans le film L’Etudiante. Alors que moi quand je porte mes lunettes on est a mi-chemin entre Harry Potter et Johnny Depp dans La Neuvième Porte. Pour peu qu’on rajoute à ça un tatouage et une moustache c’est la totale. Mon conseil aux hommes serait : une chose à la fois, écoutez pousser votre moustache et vous verrez dans quelle direction elle vous mène.
C’est ce que vous avez fait ?
En fait j’ai toujours été imberbe jusqu’au jour où, comme par enchantement, ma moustache a poussé. A l’époque en 2007-2008, sur leur photo Myspace, les filles commençaient à remplacer la mimique du V de victoire par celui de s’en faire une avec leurs cheveux ou leur doigt. Des gadgets et des bijoux à l’effigie de moustache ont commencé à apparaître. Moi-même, en soirée je m’amusais à m’en coller une factice. Du coup j’étais trop content de l’avoir. Comme dans le livre d’Emmanuel Carrère, la moustache n’est pas innocente dans toute cette histoire. Je suis presque incapable de reprendre possession de moi-même quand je la rase, la vie devient terne. Et elle ne prend pas beaucoup de temps pour être entretenue. A moins de vouloir faire le péteux et de passer sa vie à la lustrer en même temps que son fixie pour faire le bellâtre. Nos amis de l’industrie de la beauté ont créé toutes sortes de produits qui permettent de l’entretenir plus vite que le rasage intégral. Le mec de chez Axa perd plus de temps dans sa salle de bain à être glabre. Et comme je ne bosse pas chez Axa j’ai le droit de porter la moustache. Depuis que je suis Mr. Style chez GQ, je dirais même que ce serait un affront de ne pas l’avoir.
Les 30 moustachu(e)s qui n’ont jamais rien fait de mal, de Gonzague Dupleix et Sidonie Mangin, éd. Le Contrepoint, 12,90€
par Sophie Janinet